"Si les médecins étaient mieux répartis il n'y aurait pas de pénurie en Belgique" (Dr Mélanie Lampe)

07/02/2023

"Si les médecins étaient mieux répartis il n'y aurait pas de pénurie en Belgique" (Dr Mélanie Lampe)

  • 07 février 2023
  • par V.Li
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Le Dr Mélanie Lampe, ophtalmologue, lance une pétition pour alerter et sensibiliser les jeunes médecins et les autorités à la situation dramatique en province de Luxembourg. "Il faut un élément contraignant pour obliger les médecins à s'installer ou à travailler en province de Luxembourg. Il faut contingenter pour qu'il y ait des médecins et des spécialistes partout pour répondre aux besoins de la population. "

« Pourquoi je me suis décidée à agir maintenant ? Parce que je n'arrive plus à suivre mes propres patients correctement (18 mois de délai alors que je dois en voir beaucoup 1x/an) et que l'avenir médical de la province s'annonce désastreux. Je ne suis pas la seule concernée (cfr pédopsychiatres, dentistes, orthodontistes, dermatologues, généralistes, neurologues...). Notre province se vide de ses médecins. On va vers une catastrophe. A l'hôpital d' Arlon, nous n'avons plus de neurologue. La situation ne va faire qu'empirer s'il n'y a pas une action concrète des autorités rapidement. Aujourd'hui, nous sommes face à un désert médical. »

Mieux répartir les médecins ?

Cette question, elle l'aborde en rappelant qu'elle-même « pratique depuis 7 ans en province de Luxembourg, alors que je suis originaire de Mouscron. Nous sommes près du Grand-Duché qui est plus attractif financièrement. Je suis la seule ophtalmologue dans toute la province de Luxembourg à m'être installée en 19 ans ! ."

Elle rappelle aussi les enjeux de la profession : « Il y a actuellement 1315 ophtalmologues en Belgique (+/- 890 équivalents temps plein) pour 11 600 000 habitants. C'est-à-dire 1 ophtalmologue pour 8821 patients. Nous avons donc en Belgique 11,34 ophtalmologues /100 000 habitant (mais qui ne travaillent pas tous à temps plein donc plutôt 10 ophtalmologues/100 000 habitants en Belgique (en France : 8/100 000).Le nombre d'ophtalmologues en Belgique est donc suffisant. La pénurie vient d'une mauvaise répartition ! En province de Luxembourg, il y a 4,4 ophtalmologues/100 000 habitants actuellement (situation tendue, mais tenable avec des médecins qui risquent le burn-out). Dans 10 ans, nous ne serons plus que 1,38 ophtalmologue/100 000 habitants (situation complètement intenable) d'autant plus vu les besoins qui vont augmenter (myopie, DMLA...). »
Quelles sont les solutions ?

Pour elle, une solution concrète existe : « Pour que nous ayons des médecins qui restent en province de Luxembourg, il faut un élément contraignant pour obliger les médecins à s'installer ou à travailler en province de Luxembourg. Il faut contingenter pour qu'il y ait des généralistes et des spécialistes partout pour répondre aux besoins de la population. Je sais que cette mesure ne va pas plaire aux médecins. Je ne m'attends pas à me faire des amis parmi les étudiants en médecine, mais il faut penser aux patients d'abord. Nous ne pouvons pas oublier le serment d'Hippocrate."
Le Dr Mélanie Lampe ne croit plus en la solution des primes: « Vu le désert médical de généralistes, la mesure n'a pas été d'une efficacité extraordinaire et coûte cher à la société ! »
Elle pense à une autre approche : « Les pharmaciens, les notaires, les professeurs, les policiers, les pompiers, etc... ont une contrainte de localisation également (on ne met pas tous les pompiers dans la même caserne...). »
2 ans dans une région en pénurie
Mais quels types de contraintes ? « On pourrait tendre vers une obligation pour les médecins diplômés de réaliser 2 ans en région en pénurie à la fin de leurs études ( Déjà 1 an en France). Il s'agit d'un système équitable pour tous les étudiants. Toutefois, il ne favorise pas l'installation au long cours de médecins. Sans oublier que le dossier médical peut-être moins bien suivi et que le patient change systématiquement de médecin."
Elle propose une approche par zone de couleur: par exemple mettre en plus un cadastre et un code couleur par région (exemple de chiffres arbitraires)
-Rouge : <50% de médecins par rapport à la moyenne Belge
-Orange : 50-80% de médecins par rapport à la moyenne Belge
-Vert : 80-100% de médecins par rapport à la moyenne Belge
-Jaune : > 100% de médecins par rapport à la moyenne Belge

Fin de la liberté d'installation ?
« La mesure n'est appliquée que pour les étudiants qui vont commencer la médecine. Ils sont avertis avant de commencer leurs études! Le choix peut d'abord être fait sur une base volontaire. A défaut, le choix peut être fait sur base du classement (exemple en ophtalmologie : on prévoit 3 places +2 places de réserves zones rouges). »
Le Dr Mélanie Lampe met en avant trois points :
1. Obligation de remplir les zones rouges (au moins un certain pourcentage/ an ; pas forcément tout d'un coup) et orange (un pourcentage un peu inférieur)
2. Interdiction de remplir les zones jaunes (si le médecin décide de néanmoins s'y installer : pas de remboursement par l'INAMI de ses soins)
3. Autorisation de s'installer en zone verte si la condition numéro 1 est remplie.
Exception prévue : les hôpitaux universitaires. Le médecin peut y travailler peu importe la zone dans laquelle se trouve cet hôpital.
Pour elle, cette solution a du sens : « Vu le nombre d'étudiants qui veulent faire la médecine, même si la mesure en décourage quelques-uns, ils seront toujours suffisamment nombreux à tenter ces études. (6000 candidats pour 1000 places environ, nous avons de la marge). La mesure, enfin, n'impose pas au médecin de vivre en zone de pénurie ! »